2019 - Ecrits à propos de l’exposition Mondes habitables - Kacha legrand // catalogue Mondes habitables Ed.galerie Bernard Jordan



 MONDES HABITABLES 
 
 

Collections 

 Mondes habitables est le déploiement d’un univers fictionnel dans lequel je propose au visiteur une circulation, une immersion. L’espace de la galerie est vaste, propice à la promenade. Je l’imagine ponctuée de stations, d’ilots. Les sculptures, elles, sont présentées sous forme de collections. Ces collections sont en réalité des installations blanches, achromes, dénuées d’une séduction liée à la couleur. Ce que je recherche avant tout est une imprégnation des lieux par un silence qui émane de la matière même. La transmission d’un instant d'équilibre à travers des espaces contemplatifs. Je ne dénonce rien, je propose des installations qui amènent à expérimenter une sorte de détachement et aussi un autre regard sur le monde, des espaces où la forme est nue, sans artifice. 

 

Architecture 

Les sculptures sont comme les architectures du dehors, elles vivent ensemble, se côtoient pour entamer un dialogue avec l’espace. Mon travail de dessin et de sculpture tisse des relations avec l’architecture. Les formes qui m’intéressent sont à la fois des formes détachées du réel, formes mentales issues de la rencontre d’une horizontale et d’une verticale et qui sont révélatrices de mon intérêt pour la structure, le plan, la surface et la transparence. Ces éléments sont en réalité les composants de la fenêtre, élément fondateur de ma démarche. D’autres formes cependant sont apparues dans mon vocabulaire à l’instar de la courbe et du cercle. Ces formes issues d’éléments d'architecture sont réunies à l’intérieur d’un inventaire pour se re-déployer in fine en trois dimensions dans l’espace. La relation que j’entretiens avec l’architecture est une relation attractive, nourricière, sans recherche de fonctionnalité. Il s’agit d’une fascination pour le paysage construit, pour le bâti, pour la matière dans ses multiples configurations. Il y a dans mon travail cette envie de ré-inventer les multiples contours d’un paysage sculptural, fabriqué par des volumes pleins ou évidés regroupés en typologies, dans des collection. Certains volumes dans leur dimension sont proches de la main, d’autres, proches du corps. S’opère alors une translation, un déplacement de l’architecture vers la sculpture. 

 

Inventaire 

L’inventaire dessiné est une tentative de rassembler des typologies. La capture photographique est à l’origine du prélèvement d’un élément architectural de son contexte. J’opère des saisies du réel. De la photographie s’effectue un glissement vers le dessin par la simplification de l’image, un changement d’échelle, un isolement de l’élément. Ce corpus de formes s’est élaboré au fil des années à partir de balades urbaines. 

 

Carnets 

Ces ballades m’ont aussi donné l’occasion de tenir des carnets. Les carnets jouent un rôle crucial dans l’élaboration de mes projets. Ils rassemblent des notes, des dessins. Ils sont la mémoire du réel, du temps qui passe et sont une projection dans le futur. Ils structurent une pensée. J’ai développé trois sortes de carnets : 1- des carnets d’écrits répertoriant jour après jour les étapes de ma pratique, mes rencontres, lectures, pensées, projets. Ils sont multiples et contiennent les photos, écrits, esquisses. 2 - des carnets de dessins au feutre rouge qui ont pris naissance durant mes trajets en train et qui sont devenus des carnets de voyages. Enfin 3 - des carnets calepinés qui contribuent à la constitution d’un inventaire de formes réalisées au Tip Ex blanc. 

 

Volumes blancs 

Ma façon d’aborder la sculpture se fait par une phase de dépouillement en regard de la forme rouge qui a été leur point de départ. L’un des aspects les plus frappants de ces volumes à caractère géométrique est leur nudité, leur achromie qui agit comme un révélateur de la forme. Leur blancheur renvoie à notre silence intérieur et leur épaisseur suggère un étirement du temps. Leur densité leur permet de s’ancrer dans le réel alors que leur non couleur semble les extraire de la réalité. Je perçois le blanc comme une énergie douce, une énergie réfléchissante. La question a été de savoir comment le blanc des volumes pourrait agir sur le lieu. De quelle façon le blanc pourrait impacter l’espace en en révélant ses aspérités, sa structure. Ensuite ce sera à la lumière de poursuivre le travail. Comme une mise en relief qui crée des passerelles entre les volumes. Ce qui m’intéresse avant toute chose se sont les relations entre les formes, leur interdépendance, leur co-existence. En contrepoint des volumes blancs, comme un besoin d’équilibrer les énergies, une présence rouge de papier, les Assemblages. 

 

Assemblages

Les Assemblages composent et recomposent sans cesse des croix, comme une nécessité de récurrence. Ces formes mentales naissent d’une attraction entre une horizontale et une verticale qui induit un crénelage de la forme. La couleur rouge qui les caractérise les fait basculer dans une chair de couleur, une matérialité vibrante. Ces espaces intérieurs, quasi hypnotiques permettent au mental de s’y projeter. La façon dont j’aborde la couleur peut sembler univoque, en réalité le rouge n’est pas traité comme une simple couleur mais comme une énergie qui devient tour à tour densité, luminosité, émergence ou profondeur. 

 

Transmutation 

A travers ces installations associant le rouge des Assemblages et le blanc des sculptures (Étirements, Éléments blancs ....) mon travail est l’évocation d’une transformation alchimique. Elle interroge la notion fondamentale de passage. L’étape de transmutation de la deuxième dimension vers le volume, ou encore du passage du rouge vers une matérialité achrome traite de l'étirement de la matière et du temps, et de l’abandon du rouge passion pour un blanc paisible ... Mon protocole de fabrication est l'assemblage, qu'il s'agisse d’adjonction, de superposition de surfaces de papier rouge ou de plaques de médium que je recouvre d’acrylique blanche, l’acte parle de rassembler, d’empiler de structurer et de construire. 

 

 Délinéations 

Enfin une autre étape, qui n’apparait pas dans Mondes habitables mais dans Agglomération(s)( 2014 )ou dans Matière Blanche ( 2016) est celle du dessin au crayon graphite qui expérimente le report et le déplacement du contour d’un volume qu’il soit tracé sur une feuille de papier ou directement sur le mur. Ces Délinéations créent une vibration, un lent déplacement, comme le prolongement d’un état statique vers un mouvement dynamique. Une mutation graphique qui exprime la potentialité d’un mouvement inscrit dans la sculpture. En même temps qu’un passage de la fixité au mouvement, elle suggère un espace contenant une multiplicité de formes transparentes par superposition, entrecroisement où se mêlent intérieur et extérieur de la forme.