2019 - Éric Suchère - À propos de l'intervention de Kacha Legrand // Micro-édition Énergie blanche

 

À propos de l'intervention de Kacha Legrand

 

Présentation orale d'Eric Suchère à la chapelle Saint Drédeno, Saint-Gérand, le 7 juillet 2019

Lors d’une précédente rencontre, j’avais suggéré que le travail de Kacha Legrand était à la fois formel et dramatique. Je faisais référence à un excellent texte de Karim Ghaddab dans lequel il comparait son œuvre avec Grünewald, Rembrandt, Géricault ou Delacroix. Cette notion avait troublé Kacha Legrand et, en y réfléchissant postérieurement, je ne crois pas que je puisse assumer totalement cette approche, même si Kacha m’avait admis qu’il y avait une inquiétude profonde et ancienne à l’origine de son œuvre. J’ai, donc, repensé intégralement la manière dont j’envisage ce travail. 

Vous avez, donc, ici, des cylindres superposés qui peuvent évoquer assez facilement des toupies, qui ont des diamètres et des hauteurs extrêmement changeants d’une pièce à l’autre et ce qui m’a frappé, lorsque j’ai revu cette installation, c’est qu’elle nécessite d’être regardée à partir d’un point de vue précis. Je crois que ce serait une erreur de s’accroupir ou de se mettre à genoux pour essayer d’avoir l’axe central de chacune des pièces, celui qui a le plus gros diamètre, au niveau des yeux. On peut évidemment le faire mais la question fondamentale est l’ancrage des pièces au sol et, en même temps, une montée vers la voûte avec ce blanc qui est commun aux deux. Si l’on regarde debout, l’on perçoit mieux cet ancrage et cette aspiration ainsi que la qualité cinétique des sculptures – qui peuvent évoquer des derviches tourneurs – même si elles sont totalement immobiles. Les œuvres pèsent, sont ainsi plaquées au sol, en même temps qu’elles émettent une énergie qui donnerait la sensation de s’en libérer. 

Lorsque j’ai présenté cette œuvre aux médiateurs, j’ai été frappé par la manière dont je circulais autour et entre les sculptures. Je ne m’arrête jamais vraiment mais déambule en regardant à droite ou à gauche d’une manière extrêmement naturelle. Le regard n’est pas fixe, mais mobile, aussi mobile que le corps et je crois que cela est dû à cette énergie cinétique. 

Dans le transept, il y a deux sculptures, l’une évoquant les clés de saint Pierre et qui reprend les formes de la rosace et qui sont un retournement permanent de la forme sur elle même, ainsi qu’une autre extrêmement simple composée d’éléments horizontaux et verticaux reliés par des arcs de cercle où il y est aussi question du retournement de la forme sur elle-même. Cette sculpture m’évoque, assez facilement, la figure du labyrinthe – que l’on songe à celui de la cathédrale de Chartres ou à celui d’Amiens – surtout dans le cadre de la symbolique chrétienne. 

Dans celle de Chartres, le Christ qui était symbolisé par Thésée, se perdait dans le labyrinthe et affrontait Satan représenté par le Minotaure, pour sauver l’humanité de la barbarie et, ainsi atteindre la Jérusalem céleste, mais, plus que cette symbolique particulière, il est important de signaler que l’on ne se perd pas dans le labyrinthe chrétien. Parfaitement symétrique et retournement permanent de la forme sur elle-même. Il est le symbole d’une perfection, d’un infini, d’une tension vers celui-ci. 

Peut être que cette question du retournement permanent et de cette énergie que Kacha crée, est justement cette capacité à la fois à atteindre et à affronter ce qui serait a la limite du commun dans un ballet dans lequel la déambulation du spectateur serait peut-être comparable symboliquement à cette quête qu'on pourrait avoir dans la vie d'une recherche de sens qui se ferait à partir de la forme et dans laquelle il serait possible de trouver une certaine forme de spiritualité – spiritualité que l’on retrouve également dans certains architectones de Malevitch auxquels on pourrait penser en regardant son œuvre –, dans laquelle il y aurait une certaine forme d'absolu.